Le contexte : Un homme décède le 24 août 2005 et laisse pour lui succéder ses deux enfants MM. Jean-Marie et Pierre X…, majeurs placés en tutelle, et Mme Y… épouse Z… qu’il avait instituée légataire universelle par testament du 10 novembre 2003. L’Association tutélaire rhodanienne, en qualité de tuteur des héritiers, a assigné la veuve en réduction à la quotité disponible de divers dons manuels d’un montant de 160 313 euros ainsi que de la prime de 60 735 euros versée lors de la souscription, le 2 avril 2001, d’une assurance-vie par le défunt dont il l’avait désignée bénéficiaire.

La Cour d’appel fait droit à la demande de l’association et retient que la somme de 160 313 euros, à titre de don manuel, est rapportable et réductible.

La veuve forme alors un pourvoi en cassation et oppose le caractère rémunératoire de la libéralité.

Question patrimoniale : la remise d’une somme d’argent par le défunt à son conjoint peut-elle être assimilée à une donation rémunératoire ? Et dans l’affirmative à quelles conditions ?

Position de la Cour de cassation : la Cour de cassation retient que les éléments caractéristiques d’une donation rémunératoire ne sont pas établis et par conséquent la remise de la somme est assimilée à une donation ( Cass. Civ, 1ère, 27 janvier 2016, n°14-29.034).

Extrait de l’attendu nous intéressant :

(…)

…/…

« Attendu que Mme Y… fait encore grief à l’arrêt de dire qu’Henri X… l’a gratifiée d’une somme de 160 313 euros à titre de don manuel et que cette somme est rapportable et réductible ;

Attendu qu’en estimant que le caractère rémunératoire de la libéralité, revendiqué par Mme Y…, n’était pas établi, la cour d’appel a fait ressortir que le de cujus n’avait pu lui remettre les deniers litigieux que dans l’intention de la gratifier ; que le moyen qui, en sa dernière branche, critique un motif erroné mais surabondant de l’arrêt, ne peut être accueilli ; »

…/…

Observation(s), remarque(s) pratique(s).

La donation rémunératoire ne constitue pas une donation. Il s’agit en réalité d’un contrat onéreux dont l’objet est de rétribuer l’aide et l’assistance d’un héritier, d’un époux ou encore d’un tiers (Cass, 1er civ. 9 janvier 2008, n°05-13.007). En d’autres termes, il s’agit d’un passif de succession qui a pour conséquence de dispenser la donation rémunératoire de rapport civil et de rappel fiscal (Cass .com. 19 décembre 2006, n°05-17086). Il doit s’agir toutefois d’une aide qui excède la simple contribution aux charges du mariage ou l’exécution du devoir de secours.

Pour retenir la qualité de donation rémunératoire, la jurisprudence exige la réunion de deux critères complémentaires et cumulatifs. Cette aide ne doit pas être rémunérée et doit entrainer corrélativement l’enrichissement du conjoint qui a bénéficié de cette aide.

La jurisprudence a ainsi retenue la qualification de donation rémunératoire lorsque :

– le financement par le défunt des acquisitions litigieuses avait pour cause la participation, sans rémunération, de son épouse à son activité professionnelle (Cass. Civ, 1èère 31 mars 2010 n° 09-14.397),

–  l’époux a clairement entendu rémunérer l’épouse au vu de sa contribution ce qui était d’autant plus fondé que le régime de la séparation des biens était particulièrement défavorable à l’épouse qui ne travaille pas (C. A. Versailles, Ch. 1, sect. A, 10 mars 2011 (R. G. n° 09/07903),

–  l’activité d’une épouse dans la direction du foyer va au-delà de l’obligation de contribuer aux charges du mariage lorsqu’elle a abandonné toute activité rémunérée, renoncé à tout avenir professionnel et à son indépendance pour se consacrer à la gestion des ressources du ménage, ce qui a permis aux époux, bien qu’ils n’aient disposé que de ressources de moyenne importance, de procéder aux acquisitions immobilières contestées ( Cass. Civ, 1ère, 20 mai 1981, n°80-11.544)

– l’aidant procure une « sécurité matérielle et morale » (CA Bordeaux, 12 février 2013, jurisdata n° 2013-002833) en raison du handicap du défunt (CA  Bourges, 20 décembre 2012, n° 11/01699).

Le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation souverain quant à la qualification et au quantum de l’indemnité, il revient alors, à celui qui invoque le bénéfice d’une donation rémunératoire, d’en rapporter la preuve.

En pratique, il n’est pas toujours aisé de démontrer la volonté du défunt de rémunérer et d’indemniser le conjoint en raison de son aide. En outre, les sommes ou avantages consentis par le défunt peuvent être qualifiés soit de donation comme le retient l’arrêt commenté soit de donation indirecte (CA Versailles, 18 septembre 2014, n° 12/02010)

Préconisations patrimoniales

  Afin d’éviter toute contestation contentieuse de la part des autres héritiers au moment de l’ouverture de la succession, la donation rémunératoire peut prendre la forme :

 – d’une donation effectuée du vivant du conjoint (solution préconisée par le Doyen Jean Aulagnier)

La donation peut être faite par-devant notaire, il est également possible d’adjoindre un pacte dans l’hypothèse d’un don manuel.

d’une clause bénéficiaire lors de l’attribution d’un capital assurance vie (solution préconisée par le Doyen Jean Aulagnier)

Il conviendra d’indiquer dans le cadre d’un testament le caractère rémunératoire de cette disposition pour éviter tout rapport à la succession et exclure toute réduction.

– la rédaction d’un legs rémunératoire

Il peut être opportun de matérialiser la créance d’assistance dans la cadre d’un legs rémunératoire qui ne constitue, selon un commentaire autorisé, ni une reconnaissance de dette, ni une libéralité (B. Gelot « Le règlement de la créance compensatrice d’assistance aux parents âgés », Defrénois 1996, art. 36363, p. 842).

En outre, un legs rémunératoire à titre particulier peut être payé au moyen de la remise d’un bien d’une valeur supérieure à la rémunération due, le legs étant pur et simple au-delà (Cass. 1re civ., 8 juillet 2010, n° 09-67).

Autrement dit, si le legs rémunératoire est excessif par rapport aux facultés du disposant et aux services rendus, il n’est pas susceptible d’être annulé mais seulement réduit à une juste mesure et être réduit à la succession en s’imputant en priorité sur la quotité disponible selon les termes de l’article 919-2 du Code Civil.

d’une réévaluation des créances conjugales lors de la liquidation du régime matrimonial.

Les époux pouvant conventionnellement aménager les règles d’évaluation des créances entre époux (article 1479 du Code civil)